L’histoire d’une illusion sociale
C’est un post que j’avais écrit sur mon ancien blog, puis que j’ai divisé en plusieurs parties sur mon compte instagram sous une forme un peu différente, puis que j’ai retravaillé ici. Voilà un version plus complète de ma réflexion sur le sujet avec ce que le journal offre comme possibilités supplémentaires.
L’instantanéité et la pression qu’exerce sur moi instagram commence à me faire plus de mal que de bien.
C’est dingue hein quand on y pense de se dire qu’on subit quelque chose qu’on va consulter et alimenter de son plein gré.
C’est le propre d’une addiction…
Une addiction que j’ai réussi à vaincre par moments mais dans laquelle je replonge à chaque fois.
Mais c’est difficile pour moi : je gagne en partie ma vie grâce à instagram : avec Un Beau Jour d’abord, et avec mon compte personnel de temps en temps quand j’en ai vraiment besoin.
Et cette année avec la crise que j’ai connu (entrepreneur quasi individuel dans le monde du mariage en 2020 avec un bébé = la claque) j’ai dû ravaler un peu mes principes et faire plus de partenariats qu’avant.
Difficile donc de raccrocher : à chaque fois que je prends et me tiens à mes bonnes résolutions ) décrocher d’Instagram je dois y retourner pour bosser.
Alors que je déteste cette consommation addictive que je fais du contenu des autres et que je déteste de plus en plus tout ce que la plateforme exige de moi en tant que créatrice de contenu.
Ce qui me fait rire jaune quand je relis mon post de 2018 où je disais ‘oui haha c’est pas grave tout ça” à l’époque où je pouvais encore vivre un peu de mon activité de formation et où je n’avais pas besoin de revenus pub pour survivre à une année cahotique comme 2020.
Ça m’apprendra à me croire un peu au dessus de tout.
L’espace pour s’exprimer
En vérité, je sens l’espace d’instagram de plus en plus étriqué pour développer vraiment des idées tant dans les outils qu’il propose que dans son modèle pub.
Dans les posts feed j’ai compté : la description d’un post est limitée à 2200 signes, ce qui oblige parfois à poursuivre le texte en «suite dans les commentaires».
Mais on ne va pas se mentir, ce n’est pas très lisible et environ 50 % des gens abandonnent après la description.
Frustration.
Comment attirer l’attention des gens, les retenir ? Leur crier “ého regarde moiiii”. Dans ces moments là je me sens pathétique.
Et puis cet espace «description» donne souvent des pavés indigestes, il est difficile d’y sauter des lignes et pour pallier au manque de mise en forme, je me retrouve à mettre 4 000 emojis emojis 😀 pour garder l’attention 🙋 et j’ai l’impression de prendre tes lecteurs 🙄 pour des enfants de 6 ans.
Je déteste prendre mes lecteurs pour des enfants de 6 ans.
Et puis, il n’est pas possible d’y mettre des liens pour compléter un post et l’enrichir pour pousser la réflexion.
Un post avec du texte sur plusieurs slides en carrousel est limité à 10 slides, et pour garder une lisibilité agréable (j’ai compté.) ne peut pas compter raisonnablement plus de 4 000 signes.
Et puis cerise sur le gâteau, quand tu postes enfin ce post feed avec ton texte écrit avec tous les meilleurs soins, l’algorithme d’instagram va faire son petit test et le publier qu’à 10% de tes abonnés pour voir s’ils y répondent ou pas et si c’est pas le cas quasiment personne ne verra le post et il partira aux oubliettes.
Quand on sait ça on surveille son post comme le lait sur le feu quand il vient d’être posté en rafraîchissant, rafraîchissant, rafraîchissant, rafraîchissant, rafraîchissant, rafraîchissant…
A s’en rendre presque malade.
Les stories offrent beaucoup plus de possibilités.
Des stories ou rien
Instagram encourage les créateurs de contenu à passer par les stories.
Parce que c’est l’objectif numéro 1 d’instagram et facebook qui y voient l’avenir de leur réseau tant ce format «zapping» semble satisfaire notre besoin de contenu facile à consommer et tant les performances des publicités y sont meilleures.
Les stories c’est le nouveau berceau de l’addiction sur instagram : avec une durée de vie de 24h, si on ne se connecte pas pendant une journée on a l’impression qu’on va louper quelque chose d’important.
Alors on swipe, on swipe, tous les jours jusqu’à épuisement des news en se disant “ouf c’est bon j’ai rien loupé”.
J’ai longtemps résisté aux stories : je n’en regardais ni n’en faisais, j’avais décidé que je ne voulais pas m’y soustraire.
Et puis on m’a proposé de me payer pour en faire et j’ai rangé ce principe de côté.
Ranger mes principes, tout ce que je déteste…
Et en faisant, j’ai constaté les avantages des stories pour un créateur de contenu :
En plus d’être montrées à tous mes abonnés, je n’étais pas limitée en nombre d’images postées dans une story.
Je pouvais donc mettre autant de texte que je voulais et l’enrichir de liens swipe up (oui j’ai accès à la fonctionnalité, et je trouve vraiment dur qu’instagram demande de travailler comme un bon petit soldat pour développer son compte, Instagram pour y donner accès).
Tout rend la story plus attrayante en terme de possibilités.
Mais ça me prend un temps vraiment super long à préparer pour que ce soit agréable et lisible, et les stories n’ont pas de commentaires.
On me pose beaucoup de questions en DM, et si ce n’est pas désagréable de discuter au calme, le plus souvent, personne ne profite des réponses et ça me frustre énormément.
Ou alors ça prend un temps supplémentaire de faire des screenshot des questions et de partager les réponses.
J’ai calculé : sur une story sur un sujet de société je passe passé pas loin d’1 h à l’écrire, puis 1 h à préparer les slides «texte» pour que la story soit agréable à lire, plus de 2 h à répondre à tout le monde et 1 h supplémentaire pour poster les questions et réponses des DM pour compléter la réflexion.
Beaucoup plus de temps qu’à préparer un post de blog.
Et puis la story, ne dure que 24 h, à moins que je l’enregistre dans des publications à la une.
Mais alors là, pour la control freak de l’ordre que je suis bonjour l’angoisse, tu te retrouves avec un fatras de posts empilés les un sur les autres, et je sais qu’il est difficile de retrouver une information lue en story dans ce bordel.
Les objectifs d’Instagram :
Dernièrement tout ça me fatigue, ça m’épuise, j’ai l’impression de travailler littéralement pour instagram en échange d’un peu de visibilité.
La plateforme exige de plus en plus de moi : des stories, l’usage des fonctionnalités qui boostent l’engagement (questions, sondages, votes, réels) pour de moins en moins de retours.
Et je crois que j’ai eu tendance à me voiler la face ces dernières années : je travaille plus pour instagram qu’instagram ne travaille pour moi.
J’ai l’impression d’être dans un mauvais roman de science fiction avec un robot coach insupportable derrière tout ce que je fais : “mets un sondage ça booste l’engagement” “pose une question ça booste les commentaires” “poste un réel on veut que les gens en fassent plus en prenant exemple”…
“Bon ça va tu as fait du bon travail on va montrer tes posts”
Parce que ça n’a pas de sens au fond, Instagram n’a pas été conçu pour ça.
L’outil a été conçu et pensé avant tout pour faire fonctionner son propre modèle publicitaire et pour qu’il fonctionne il faut que les gens reviennent encore et toujours.
Et pour ça il a aussi une petite méthode bien moche…
La censure exercée par un robot :
Instagram a une scandaleuse façon de censurer des contenus que l’algorithme ne trouve pas très «advertising friendly».
Vous n’imaginez pas le bon que j’ai fait récemment en voyant un post hyper soft d’un femme qui accouche marqué comme “contenu violent” par instagram.
On ne voyait rien de choquant sur cette image (et dieu sait si une photo d’accouchement peut faire peur mais elle était on ne peut plus soft)
Mais Instagram me disait que c’est violent…
Il y a quelque chose d’effrayant quand on regarde de plus près comment un algorithme fonctionne quand son objectif est d’offrir une expérience la plus agréable possible afin que la pub fonctionne le mieux possible.
Du contenu lisse, joli, qui ne fait pas de vague, voilà l’idéal de l’algorithme pour un profil comme le mien aka une femme dans la trentaine qui a manifestement un enfant.
Voilà ce que j’ai appris au cours de mes recherches sur l’algorithme Instagram :
- L’algorithme à la censure facile de ce qui n’est pas dans la norme, car il se base sur ce que les utilisateurs marquent comme étant un sujet sensible pour eux.
- L’algorithme se “perfectionne” en apprenant sans arrêt de ces “reporting”, c’est ce qu’on appelle le “deep learning” ou “apprentissage automatique”.
- On a tous un degré de sensibilité différent mais l’algorithme censure s’il juge qu’un public risque de voir une image qui peut potentiellement le choquer.
Si on reprend l’image de la femme qui accouche sur un compte qui s’adresse majoritairement à des femmes trentenaires, l’algorithme a dû juger que c’était un contenu potentiellement choquant pour elles en se basant sur l’attitude d’un gros échantillon de femme de cet âge et il a préféré censurer auprès de certaines dont je faisait partie.
Et je ne pense pas qu’il fasse cela pour être un gardien de la morale.
Je pense qu’Instagram veut s’assurer qu’on a toujours “une expérience positive” sur sa plateforme et si on y voit des images qui nous choque on n’aura moins envie d’y aller et de cliquer sur les pubs.
Tout est fait pour nous garder dans un petit univers qui nous plaît sans trop déborder.
C’est pour ça qu’un nombre incalculable de comptes pornos prospèrent sur Instagram, parce que le public visé ne semble pas le moins du monde choqué.
Le compte instagram du podcast Entre nos lèvres a récemment très bien parlé de ce problème en recueillant plein de témoignages d’utilisateurs qui ont vu leur contenu censuré sur la plateforme, dans ce post ci et aussi dans celui là.
On pensait que Terminator c’était Schwarzy avec un gun.
Mais il est bien moins tonitruant Skynet, c’est un petit algorithme invisible et bien vicelard.
Du contenu cui cui les ptits oiseaux
Et c’est comme ça que nous, producteurs de contenu sommes progressivement forcés implicitement encouragés à ne poster que du contenu qui ne fait pas de vagues.
C’est très difficile de poster du contenu qui peut faire polémique.
Moi même à chaque fois que je poste sur un sujet de société qui fait débat je vois à chaque foi un petit bond d’unfollow.
Heureusement que je me suis bien blindée sur le sujet (j’en avais fait un gros article et podcast sur mon blog) sinon c’est tellement déprimant de perdre des followers que je ne ferais jamais des vagues !
Les algorithmes de par leur construction, au lieu de créer de la diversité, ont juste uniformisé le web et ça commence à devenir effrayant.
Pourquoi je continue :
Je sens la pression qui monte dans ma cocotte. Parce que j’ai beau essayer de pousser les murs d’instagram, je m’y sens de plus en plus enfermée.
Alors c’est vrai, je n’ai pas à me contraindre à rester sur une plateforme si je ne m’y sens plus bien.
Mais j’ai mis tant de temps et d’énergie à réunir ma communauté sur mon compte.
A l’époque je ne pensais naïvement pas possible qu’un jour un robot déciderait de nous montrer que ce qu’il penserait “intéressant pour nous” à notre place. En cachant des posts des gens auxquels on est abonnés.
Je l’ai honnêtement hyper mauvaise et j’ai le sentiment d’avoir contribué à ma mini échelle à faire grandir la plateforme à grand renfort de “suivez moi sur instagram” pour me retrouver presque “punie” aujourd’hui si ce que je produit n’est pas assez “likable”.
J’ai parfois l’impression qu’Instagram est devenu mon boss.
Les limites de l’outil :
Et puis, ce qui me donne un sentiment de malaise, c’est que je sens que ma voix sur instagram est très limitée.
Principalement parce que la plateforme n’est pas conçue pour qu’on puisse avoir des échanges trop développés et structurés, ça part dans tous les sens.
Il fut un temps où je me réjouissais des contraintes, car ce sont souvent les contraintes qui poussent à être créatif justement.
C’est une des premières choses que j’ai appris dans mes études d’art appliqué : c’est important d’avoir un énoncé, un outil et des limites pour la créativité.
Mais des limites dont la motivation principale est un modèle publicitaire manipulateur et censeur au possible ça ne me plaît pas, je n’ai plus envie de m’y soustraire, le professeur instagram me donne un exercice dont l’énoncé semble sympathique mais dont l’objectif in fine ne me plaît guère.
Du coup les contraintes que j’accueillais avec plaisir autrefois m’étouffent de plus en plus aujourd’hui.
M’étouffent et me laissent une impression de vide de plus en plus grand…
Le contenu jetable :
… Parce que j’ai l’impression que pour satisfaire le besoin grandissant de tout le monde de lire du contenu facile en story, du contenu “zapping” je dois passer un temps fou à préparer des posts qui se perdent dans les limbes, dont personne ne va profiter sur le long terme.
J’ai l’impression de préparer du contenu jetable qui ne satisfait personne, ni mes followers, ni moi, ni même des gens qui seraient à la recherche d’une info dans un moteur de recherche.
On s’habitue de plus en plus à ce type de posts qui nous permettent d’en consommer une variété toujours plus grande de façon quasi boulimique.
Et je m’inclus à ça moi aussi, comme tout le monde j’aime bien tapoter du pouce sur la droite pour passer mollement à la slide suivante. Mais plus ça va plus je sens que mon cerveau lit de façon automatique et distraite.
Et comme j’essaie tant bien que mal de reprendre personnellement le contrôle et que je me sens aussi responsable en tant que productrice de contenu de jouer à ce petit jeu du contenu facile et rapide à consommer j’avais envie d’en parler.
J’ai l’impression grandissante que les formats qu’instagram nous pousse à créer et à consommer n’épanouissent vraiment personne.
Est-ce que vous aussi vous sentez que vous êtes en proie à une incontrôlable boulimie de contenus faciles ? Vous ressentez ce vide parfois en swipant de façon automatique sur la droite le soir au lieu d’aller vous coucher ?
Pour aller plus loin
Documentaires :
Derrière nos écrans de fumée sur Netflix : pour voir ceux qui ont inventé la plupart des fonctionnalités qu’on utilise sur les réseaux sociaux nous mettre en garde contre elles et comprendre comment fonctionnent leurs algorithmes.
Do not track d’Arte : un programme interactif passionnant consacré à la vie privée et à l’économie du Web. Conçu comme une véritable expérience entre vidéos et travaux pratiques pour vous rendre compte des choses sur vos outils personnels (ordinateur et smartphone).
Ted Talks :
We’re building a dystopia just to make people click on ads (Disponible avec des sous titres français)
“How a handful of tech companies control billions of minds every day” (Disponible avec des sous titres français) par Tristan Harris (qui intervient aussi dans “derrière nos écrans de fumée”)
Livres :
Homo Deus, une brève histoire du futur de Yuval Noah Harari