
Le nombril et les larmes
Ça va vous sembler étrange mais j’ai toujours ressenti un semblant de honte et de gêne à raconter ma vie comme si elle était fascinante. J’ai toujours eu cette petite voix au fond de moi qui me demandait si vraiment ça intéresse les gens mon expérience personnelle ?
Ça me prend parfois, j’écris un article, je le publie et je me dis “et voilà encore à monologuer sur ta petite vie, t’en as pas marre de te regarder le nombril ?”.
J’ai beau toujours essayer d’ouvrir cette expérience sur un débat ou d’en faire un moment de partage, souvent je me dis “nan nan nan ma fille c’est ni plus ni moins ton journal intime, et ça intéresse qui tes élucubrations ?”
Un peu comme la serveuse automate qui parle à Ziggy : “est ce que tu crois que ça suffit ta vie ?”
Je navigue entre ces eaux depuis 15 ans :
- La première année sur mon blog je n’ai rien raconté de moi car je trouvais ça ridicule.
- Puis doucement j’ai glissé dans le journal à force de lire les expériences des autres et aimer ça
- Pour en revenir complètement au bout de 5 ans avec ma séparation avec seulement des photos de mode puis des guides pratiques
- Et enfin m’y remettre au moment de ma grossesse.
J’ai ces phases où je trouve indécent, honteux ou dangereux de raconter ma vie, et d’autres où j’ai besoin de m’appuyer sur des expériences personnelles pour ouvrir le débat.
Une relation compliquée avec l’intime.
Une relation qui a suivi une courbe personnelle et aussi les tendances du web car sans m’en rendre compte c’est aussi à ça que je me suis adaptée.
Un intérêt, une détestation, puis un retour à l’intime sur internet.
Très très très fort dernièrement sur instagram et le succès des posts émotionnels.
Émoi et moi et moi
Je sens une grosse vague qui a déjà commencé à faire des ravages : cette déferlante d’émotions fortes que ce soit dans la joie, le désespoir ou la tristesse.
N’importe quel créateur de contenu vous le dira : plus on provoque des émotions chez les autres plus ça marche.
Je m’occupe chaque semaine de sélectionner des images pour les réseaux sociaux de mon site Un beau jour, je fais ça depuis des années, je pourrais vous décrire précisément la recette de l’image qui cartonne.
C’est un couple de profil qui s’embrasse fougeusement, lui ou elle tient la tête de son/sa partenaire dans les mains (important la tête dans les mains) sur fond de guitlande guinguette ou graal ultime de bâtons étincelants dans les mains d’invités au bord des larmes.
Cette photo là c’est 2000 likes parce qu’elle provoque des émotions.
Pareil pour l’image d’un enfant qui rit c’est le succès toujours assuré.
Mais il en va de même et de plus en plus pour les confidences sincères de moments douloureux, le partage de sujets graves ou honteux, de l’inavouable.
L’autre jour je me baladais sur l’onglet suggestions d’instagram et je tombe sur 2 photos quasi identiques : 2 photos de mères en larmes avec leur enfant dans les bras.
La légende est en plus presque la même : “je poste cette photo pour ne pas oublier, ne pas oublier que ça a été difficile, et aussi vous dire que vous n’êtes pas seule”.
Ce qui est en soi une excellente chose : on a trop partagé un semblant de vie parfaite sur nos blogs et nos réseaux sociaux et il était grand temps de rétablir la vérité pour le salut de la santé mentale de tous et qu’on arrête de penser que les autres ont une vie géniale pendant que la nôtre est nulle.
Cette déferlante de vérité est salvatrice, certes, mais elle est aussi dangereuse.
Elle est dangereuse parce que la tentation de partager à outrance ses problèmes est forte tant le succès est au rendez vous.
Et puis où est la limite entre les confidences sincères et le calcul à des fins commerciales ?
On a tous tellement besoin d’émotionnel, de sincérité, de ressentir de vraies émotions qu’on partage, commente, soutient ces posts qui transpirent les larmes.
A une époque où tout le monde est à la quête d’engagement, de likes, de commentaires, de partages sur Instagram le succès de ces posts qui parlent vrai à de quoi filer le tournis et donner envie de ne plus partager que ça.
C’est comme si on avait tous à portée de main la possibilité d’être des héros de télé-réalité alors qu’au fond qui a envie de subir le destin de Loana ?
Moi même je m’y suis risquée.