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La vie après l’influence

Hier soir je suis allée à un mini GN où j’interprète un personnage qui est amené à revenir sur d’autres événements (on appelle ça un GN à chroniques).

Ça se passait dans un Paris du futur, dans une ambiance cyberpunk, et je jouais une journaliste.

Notre média était entièrement géré par une intelligence artificielle qui était capable de fouiller dans des archives, trouver des images et créer des textes de toute pièce et mon travail était de recréer des news qui génèrent des interactions parce qu’elles parlent au coeur des gens.

Et c’est drôle comme ce monde décrit dans la littérature de genre commence à se confondre un peu avec notre époque.

Les nouveaux algorithme qui décident à notre place

Vous les entendez tous râler les “influenceurs”, les créateurs de contenus et les petits business que l’algorithme est devenu assassin depuis le début d’année.

En réalité il y a plusieurs algorithmes qui décident si oui ou non le contenu qu’on propose va intéresser les gens, et son mètre étalon ce sont les intéractions.

Sur Internet les sites pullulent de conseils pour “how to beat the 2023 instagram algorithm” et on sait tous ce qui nourrira ce monstre : des likes, des réponses par DM, des commentaires.

De l’interaction, l’algorithme veut des interactions.

Parce que ces interactions c’est le moteur de notre addiction sur les réseaux sociaux.

“Social media platforms drive surges of dopamine to the brain to keep consumers coming back over and over again. The shares, likes and comments on these platforms trigger the brain’s reward center, resulting in a high similar to the one people feel when gambling or using drugs.”

«Les plateformes de médias sociaux créent chez nous des pics de dopamine dans le cerveau qui incitent les consommateurs à revenir encore et encore. Les partages, les likes et les commentaires sur ces plateformes déclenchent le centre de récompense du cerveau, entraînant un trip similaire à celui que les gens ressentent lorsqu'ils jouent ou consomment de la drogue".
Associations Between Time Spent Using Social Media and Internalizing and Externalizing Problems Among US Youth

On le sait, ce n’est pas nouveau, on en parle depuis 6 ou 7 ans maintenant.

La dictature du format vidéo courte – mère de l’addiction

Mais l’arrivée de tik tok et son succès fulgurant basé sur la vidéo courte et un algorithme très spécial n’a fait qu’accentuer tout ça : les plateformes comme instagram, facebook et twitter réclament avant tout soit de la vidéo sur lesquelles les followers sont passifs, soit de l’engagement sur les autres supports sous peine d’envoyer votre contenu aux oubliettes.

Ce qui nous pousse, si on ne crée pas de réels à tous à créer du contenu qui fait réagir : plus de vie privée, des photos de nos enfants, ou alors des discours extrêmes et polarisant (les rois des contenus pour générer de l’interaction).

Nos stories ou nos posts feed doivent être calibrées pour faire réagir.

Sinon il faut passer au réel.

Entre les deux point de salut

Le succès phénoménal de TikTok a conduit Meta et Google à s’engager dans la bataille des formats courts sur les réseaux sociaux. Les utilisateurs − notamment les jeunes − raffolent de ces vidéos, au point qu’un risque d’addiction, voire d’abrutissement, est régulièrement pointé.

(…)

Sur les vidéos courtes, les fonctions sociales − liker, partager, commenter − sont « reléguées dans un coin de l’écran, note Océane Herrero. Cela favorise un usage “passif” ».

De TikTok à Instagram, le triomphe controversé de la vidéo courte – Le Monde

Pour vous donner une vague idée malgré mes 56.800 followers sur Instagram quand je fais une story, si elle est trop longue ou ne génère pas assez d’interactions ou de réactions dès la première slide elle est montrée à 2.000 personnes grand max.

Soit 3,5% de mes abonnés.

Quand je fais un réel je suis plus facilement “récompensée” avec entre 13.000 et 33.000 vues soit entre 22% et 57% de mes abonnés.

Vous n’avez pas idée de la tristesse qui m’envahit quand je vois tous ces créateurs de contenus et ces artisans, petits créateurs et artistes que je suis, se débattre à faire des réels alors que leur contenu s’y prête peu.

Je sais le temps que ça leur prend et combien ça grignote sur leur temps passé à faire leur vrai métier.

Ou le budget que ça leur coûte s’ils font appel à quelqu’un.

Et l’énergie que ça prend de s’adapter en permanence à des médias sociaux dont les règles du jeu changent tous les 2 mois.

Et puis quand bien même on se plie à la nouvelle règle et on fait des réels…

Tous influenceurs = la fin de l’influenceur

Ce changement sur Instagram à une autre conséquence majeure que celle de nous obliger à créer du contenu calibré pour réagir si on joue le jeu ou de déprimer sérieusement quand on voit nos posts partir aux oubliettes faute de réactions suffisante, suffisamment rapidement si on ne joue pas le jeu.

La conséquence majeure c’est que bientôt on sera tous influenceurs.

C’est déjà le cas sur tik tok : n’importe qui qui crée un post générant beaucoup d’interactions dès qu’il est posté peut voir son nombre de vues s’envoler, peu importe le nombre d’abonnés.

C’est en train de devenir la norme partout, sur tous les médias sociaux.

Demain, peu importe notre nombre d’abonnés, ce sont les réactions qui feront des posts un succès ou un échec.

L’avance qu’ont les influenceurs avec leur nombre d’abonnés ne servira bientôt plus à grand chose.

Il y a un basculement de l’architecture des réseaux : construits sur une logique « sociale », ces derniers se convertissent à la recommandation. « Facebook et Instagram pivotent d’une organisation centrée sur les gens et les comptes auxquels vous êtes abonnés vers un système où on vous montre progressivement davantage de contenu pertinent recommandé par nos algorithmes », a théorisé Mark Zuckerberg le 1er février. De 15 % en 2022, la part des contenus recommandés « passera peut-être à 30 %-40 % » fin 2023 et « continuera de croître », a-t-il prédit.

De TikTok à Instagram, le triomphe controversé de la vidéo courte – Le monde

Droit dans le mur ou au delà du mur ?

Et est ce que c’est une mauvaise chose ?

Oui et non

Oui parce que si on pensait que le débat en ligne était déjà trop polarisé je pense qu’on n’a encore rien vu.

Oui parce que si l’addiction aux réseaux sociaux était déjà un problème je pense qu’on n’a encore rien vu (à ce titre je vous recommande les très bons documentaires génération écran génération malade et derrière nos écrans de fumée qui datent mais sont toujours d’actualité).

Oui parce que c’est désespérant pour tous ceux qui ont passé des années à donner de leur temps sur ces plateforme pour remplir leur compte d’abonnés et s’assurer la visibilité nécessaire pour faire fonctionner leur entreprise (qu’ils soit créateurs, artisans ou influenceurs).

Et non parce que, et je parle seulement en mon nom,…

La vie après l’influence

je crois qu’en nous ôtant le privilège d’avoir tant d’abonnés on nous libère de ce travail constant qu’est le maintien d’une communauté.

Toutes ces stories quotidiennes qu’il faut faire pour maintenir le lien, pour montrer qu’on existe toujours, pour montrer aussi à l’algorithme qu’on fait bien notre travail, qu’on est là et qu’il ne faut pas nous “punir” parce qu’on ne joue pas le jeu.

Moi ça fait des années que j’en ai marre…

…parce que j’oscille entre des périodes où j’ai beaucoup envie de partager et d’autres où j’ai envie de rester dans mon coin (et je le paie).

…parce que j’ai envie de pouvoir parler de tout et pas seulement de maternité, sujet dans lequel Instagram semble m’avoir rangée (quand je parle politique, ma visibilité est 20.000 lieues sous les mers).

…parce que j’ai pas envie de faire des putains de réels (qui a le temps en plus de tout ce qu’on doit déjà faire pour faire ami ami avec l’algorithme de préparer une vidéo, de se filmer, et de faire le montage ?).

Alors là devant ce qui arrive je sais que je peux ranger les armes et arrêter de me battre contre des moulins, la bataille des réseaux sociaux est perdue d’avance.

Avant je m’accrochais à ce que j’avais construit ces 17 dernières années en matière d’audience contre vents et marées maintenant je vais plutôt me concentrer sur tout ce que ça m’a appris à faire.

Je sais que je peux changer de route sereinement sans risquer de regretter quoi que ce soit et prendre un petit chemin de traverse.

Petit chemin de traverse que j’ai déjà commencé à emprunter.

En privilégiant cet espace avec 170 abonnées plutôt que mes 58.000 sur instagram : parce que je préfère mille fois passer du temps à écrire de longs articles ici qu’à produire du contenu kleenex sur Instagram.

En créant ma boutique des vilaines curiosités qui me plonge un peu dans de la recherche, et même si je suis loin d’en vivre ça me nourrit.

En réfléchissant depuis quelques années à retourner travailler – avec une certaine liberté d’organisation – pour une entreprise en laquelle je crois parce que je préfère travailler pour les autres que continuer à vivre d’un personal branding qui ne me correspond plus vraiment (j’ai changé mais on attend toujours de moi qu’elle soit celle qu’elle était il y a 10 ou 15 ans).

Boule de cristal ?

Tout ça mûrit dans mon esprit depuis un moment et je vois des signaux à droite à gauche qui me montre que oui il y a une vie après l’influence.

Beaucoup d’entre nous sont dans le déni parce que c’est flippant de se dire que c’est bientôt vraiment fini…

…dans la forme qu’on connaît actuellement.

Personnellement, je pense que ce métier de créateur de contenu ne va pas vraiment disparaître mais muter.

  • De grandes audiences vers des plus petites confidentielles.
  • De contenus lifestyle très vaste vers des contenus ultra niche.
  • Du personal branding à l’anonymat derrière un projet.

et cette perspective me réjouit depuis que j’ai compris tout ça.

Plus de FOMO en vue quand je vais déserter Instagram pendant de longues semaines.

Et je vais enfin pouvoir définitivement me débarrasser de cette addiction moi qui tente depuis des années de me défaire d’Instagram et qui suis contrainte d’y retourner régulièrement de peur de perdre mon audience et replonge fatalement.


Je suis loin d’être la seule concernée, si j’ai écrit cet article c’est après avoir lu un article sur le sujet dans le New York Times dont j’ai volé le titre.

Il parle d’une grosse influenceuse qui a raccroché les gants malgré une immense audience pour aller travailler en tant que salarié.

Et son parcours croustillant (car non dénué de rebondissements) pour sortir de l’influence.

For more than a decade, social media has carried with it the implicit promise that with some combination of luck and incessant posting, a user with no connections, no experience, and sometimes no discernible skill can become rich and famous. In 2019, a Morning Consult report found that 54 percent of Gen Z and millennial Americans were interested in becoming influencers. (…)

But the dream — as report after report and tearful vlog after vlog has made clear — comes with its own costs. If social media has made audiences anxious, it’s driving creators to the brink.

"Pendant plus d'une décennie, les médias sociaux ont porté avec eux la promesse implicite qu'avec une bonne dose de chance et de publications incessantes, un utilisateur sans réseau, sans expérience et parfois sans compétence apparente pouvait devenir riche et célèbre. En 2019, un rapport de Morning Consult a révélé que 54 % des Américains de la génération Z et de la génération Y souhaitaient devenir des influenceurs. (...)

Mais le rêve - comme de nombreux rapports et de vlog larmoyants l'ont montré - a un prix. Si les médias sociaux ont rendu ses consommateurs plus anxieux, ils ont carrément poussé les créateurs à un point de non retour."
Is There Life After Influencing? – The New York Times

Le calme contre la tempête

Je vois bien en ce moment de subtils changements silencieux.

Je discute en DM avec d’autres créatrices de contenu qui me confient que leurs stats sont à la rue et qu’elles sont désespérées.

Mais personne n’ose en parler pour ne pas effrayer les annonceurs.

J’en vois d’autres qui comme moi se livrent à un lent mais sûr suicide d’influenceurs en parlant de tout et n’importe quoi, en disparaissant régulièrement, en étant plus mesurées et prudentes dans leurs publications.

Je sens se profiler un mouvement de calme, de sobriété, de sites restreints en accès et de petites communautés cachées en réaction à cette agitation et cette addiction toujours plus grande vers laquelle nous poussent tous les médias sociaux.

Une réponse profonde à la surenchère permanente (qui ne va pas s’arranger avec les comptes générés par des IA qui vont arriver après demain je le vois venir à 4000 km) que je vois se profiler.

Moi en tous cas, je vais donc continuer à développer ce site et peut être reprendre ma newsletter que j’ai quelque peu abandonnée (j’y réfléchis mais sous quelle forme je ne sais pas encore).

Mes micro comptes sur Instagram qui m’apportent beaucoup d’inspiration vont continuer à vivre : @lepetitcottagebourguignon pour parler de ma maison – @lesvilainescuriosites et ma boutique – @merilmeliamne pour partager sur le GN pour le plaisir et @perioddramalove pour mes soirées série.

Je réfléchis à mes workshop que j’aime énormément, et pourquoi pas en imaginer un pour les influenceurs qui ont envie de faire autre chose et d’assurer la transition…

Quant à mon compte Eleonore Bridge je ne sais pas bien ce qui va se passer, j’attends de le voir muter…

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